Des femmes brillantes
Parmi les pionnières citons bien sûr Ada Lovelace, première programmeuse de l’Histoire. Passionnée de mathématiques, elle développe les idées de Charles Babbage et ajoute à la traduction de son article de copieuses notes dont le tout premier algorithme informatique, pas moins !
Grace Hopper a eu l’idée de créer un langage de programmation plus proche du langage humain, le FLOW-MATIC, qui a accouché du COBOL en 1959. Avouez qu’on lui doit une fière chandelle ! Et dire que ce langage est encore utilisé par des banques, assurances et autres, 50 ans plus tard…
Jean Bartik, initialement embauchée en 1945 en tant qu’ordinateur humain pour calculer les trajectoires des missiles et autres canons, a ensuite demandé à être assignée à l’utilisation de l’ENIAC, un ordinateur effectuant ces opérations de manière automatique. Avec les 5 autres femmes de son équipe, et sans accès au fonctionnement interne de l’ordinateur (secret défense !), elles ont développé les techniques fondamentales de programmation (dont le pair programming, sur le plan humain) pour l’utiliser, l’améliorant et lui permettant d’avoir d’autres applications.
Radia Perlman a conçu le protocole Spanning-Tree, qui permet à Ethernet de connecter de vastes réseaux éloignés au lieu de quelques appareils dans le même bureau jusque là et donc à Internet d’exister sous la forme qu’on lui connaît. Plus d’une centaine de brevets sont enregistrés à son nom.
Plus récemment, Shafi Goldwasser est l’auteure de travaux sur la théorie de la complexité, la cryptographie et la théorie algorithmique des nombres, indispensables pour la communication sécurisée sur Internet. Elle a reçu le prix Gödel (informatique théorique) par deux fois, et le prix Alan Turing, qui récompense une contribution technique majeure et durable à l’informatique.
Vous trouverez d’autres informations sur les femmes cruciales dans l’informatique dans l’article l’informatique est trop importante pour être laissée aux hommes, si vous voulez aller plus loin. En résumé, sachez que s’il vous arrive de programmer dans un langage informatique des algorithmes utilisant des fonctions intermédiaires, chaque mot de cette phrase est le travail de femmes pionnières.
Des homosexuels courageux
Alan Turing, bien sûr, central dans la réflexion sur l’intelligence artificielle, fut un pionnier de la cryptanalyse et cassa le chiffre de la machine Enigma. On estime que grâce à lui la deuxième guerre mondiale a duré 2 ans de moins, et il a contribué à sauver des millions de vie. Poursuivi en justice pour son homosexualité, castré chimiquement, il s’est suicidé à 41 ans. Il a fallu attendre 55 ans après sa mort pour qu’il soit reconnu publiquement comme héros de guerre, et reçoive un pardon posthume. J’ai été très ému par le film Imitation Game qui retrace sa vie et ses contributions.
Peter Landin, chercheur britannique en informatique, a introduit la notion de fonction comme concepts élémentaires dans la programmation, un concept repris par la suite par différents langages dont JavaScript. Il a également contribué à la définition du langage ALGOL et des concepts tels que l’indentation significative, le sucre syntaxique, et milité activement pour les droits des homosexuels.
Et bien d’autres, bien sûr. Si vous avez des noms à ajouter à cette ébauche de liste, mentionnez-les en commentaire et je mettrai l’article à jour.
Des personnes de couleur et origines variées
Otis Boykin, inventeur et ingénieur afro-américain, à qui nous devons 28 brevets dont des résistances plus économes en énergie, utilisées dans la plupart des appareils électroniques une fois disponible, une résistance variable utilisée notamment dans les systèmes de guidage de missiles, et des contrôleurs de pacemakers. Ironiquement, il a lui-même succombé à une insuffisance cardiaque à 62 ans.
Mark Dean, inventeur et informaticien afro-américain, a dirigé l’équipe qui a élaboré la norme ISA permettant de connecter différents périphériques et celle qui a conçu le premier processeur cadencé à 1GHz.
Philip Emeagwali, après une enfance au Niger et des études interrompues par la guerre, a étudié aux États-Unis où il a gagné le prix Gordon-Bell en réalisant le record de 3,1 milliards d’opérations à la seconde réparties sur 65,536 processeurs. Ses travaux sur les supercalculateurs sont utilisés dans l’optimisation de l’extraction pétrolière, la prédiction météorologique et le calcul des effets du réchauffement climatique.
Adi Shamir, mathématicien et cryptologue israélien reconnu comme l’expert le plus éminent en cryptanalyse. Le “S” de l’algorithme de cryptographie asymétrique “RSA”, c’est lui.
Chieko Asakawa, informaticienne japonaise aveugle, qui a créé un navigateur à synthèse vocale.
Wikipedia maintient des listes de personnalités en informatique selon leur nationalité si ce point de vue vous intéresse. En attendant, on peut rappeler que Steve Jobs était fils d’un émigrant syrien, et que Cory Doctorow, un blogueur/journaliste/auteur de SF et fervent avocat du logiciel libre parmi les plus influents du Web, est né de parents qui ont fui l’Azerbaïdjan…
Et bien plus
Saviez-vous que Sophie Wilson, inventeur du BBC Basic et des microprocesseurs ARM, présents dans 95% des smartphones, est une femme trans ? Que l’entreprise SAP s’est mis pour objectif d’avoir 1% d’employés autistes ? Que Mark Zuckerberg est daltonien? Que l’initiative [One laptop per child]{lang=”en”} est co-fondée par Mary Lou Jepsen, qui a également dirigé de nombreux projets R&D chez Google, et travaille actuellement pour Facebook/Oculus VR ? Ses études en optique et holographie l’ont conduite à créer les écrans et projections les plus grands au monde, y compris le projet un peu fou d’utiliser la lune comme écran !
Citons également Mozilla, l’ambitieuse fondation à but non-lucratif visant à permettre à tout le monde de profiter des bienfaits de l’informatique et d’Internet, qui a été co-fondée et est toujours dirigée par Mitchell Baker.
Sheryl Sandberg est actuellement directrice des opérations à Facebook après avoir été vice-présidente des ventes et opérations internationales en ligne chez Google et chef de service du département du Trésor des États-Unis où elle a travaillé sur l’allègement de la dette des pays en voie de développement. Elle figure depuis 2011 dans la liste des 10 femmes les plus influentes du monde, aux côtés de [Melinda Gate]{lang=”en”}, Susan Wojcicki (directrice de YouTube), Michelle Obama, Hillary Clinton, Angela Merkell]{lang=”de”}… [Sheryl a également écrit l’ouvrage En avant toutes : les femmes, le travail et le pouvoir pour encourager et promouvoir la place des femmes dans le monde.
Pourtant depuis 1980-1990 les femmes se détournent des études d’informatique (passant de 40 à 17% des diplômés) pour différentes raisons. L’une d’entre elle est probablement leur invisibilisation (qui pourrait citer 5 femmes de cette page sans hésiter ?), mais un autre phénomène est également en jeu.
L’homogénéité de la profession n’est pas un hasard aux conséquences toxiques mais le résultat d’une prophétie auto-réalisatrice. Depuis 1966 la sélection des programmeurs s’effectue avec le biais erroné que les bons programmeurs seraient doués en mathématiques, attirés par les énigmes et les risques, et asociaux, comme l’explique très bien [Birgitta Böckeler]{lang=”de”} dans « Born for it ».
Que faire de tout ça ?
Il n’y a pas de fatalité. Le premier pas est d’accepter que l’ensemble de la société est sexiste, misogyne, raciste, validiste, favorise une minorité au détriment des autres, et qu’ayant grandi en son sein nous sommes tous imprégnés de ces biais cognitifs.
Ça peut faire mal d’accepter qu’on agit sans le vouloir d’une manière oppressive, à l’encontre des principes auxquels on croit. Mais je suis prêt à parier que vous qui me lisez bénéficiez d’innombrables avantages de par votre sexe, genre, âge, nationalité, couleur de peau, niveau d’études, moyens financiers, environnement familial et amical, qui ont joué et jouent encore en votre faveur sans que vous en soyez vraiment conscients.
Il faut donc favoriser le recrutement, l’égalité salariale et une atmosphère accueillante pour améliorer la situation des femmes mais aussi pour les personnes de couleur, neuroatypiques, trans, etc. Leurs différences de points de vue, d’approches, de vision du monde sont des atouts dont on ne mesure pas assez l’intérêt. À titre d’exemple, Github a embauché des personnes trans pour combattre le sexisme en interne et entre les utilisateurs car bien plus à même de connaître et d’évaluer l’impact des outils proposés. Les employés ont mis un certain temps à accepter les changements culturels nécessaires, mais s’y sont fait avec le temps.
J’encourage les organisateurs et organisatrices d’événements à se prononcer publiquement en faveur de la diversité et de l’inclusion, et à inviter des oratrices, personnes de couleur, personnes non cisgenre à intervenir —sans oublier de faire en sorte que les lieux et personnes leurs soient accueillants lors de l’événement.
Et au quotidien, informez-vous, dépassez vos biais et vos préjugés, sortez de votre bulle de filtrage, changez quelque chose même s’il ne s’agit que d’une icône, prenez publiquement position pour la diversité.
Tant que vous êtes là j’en profite pour remercier des conférences comme Paris Web pour son accent sur l’accessibilité, Sud Web pour la diversité des sujets et des orateurs, Sara et Florens car la diversité de leurs partages m’a beaucoup aidé à sortir de ma propre bulle de filtrage, et bien d’autres.