Mon engagement écologique
J’ai beau clamer haut et fort que je ne prendrai plus l’avion de ma vie, je nourris un peu de regrets quand j’entends dire monts et merveilles de pays comme Bali ou l’Islande, et j’aimerais revoir l’Écosse, la Suède, la Grèce, poursuivre le Chemin de Compostelle… toutes choses difficiles à faire sans avion si on ne peut pas consacrer des semaines ou des mois à un voyage. Mais profite-t-on vraiment d’un voyage lointain quand on se téléporte ainsi ? Est-ce pour ça qu’on tente d’en ramener un max de photos, pour se convaincre qu’on y a vraiment été ? En tout cas je préfère voyager moins loin mais rester cohérent avec mes convictions écologiques.
Je suis conscient de l’urgence écologique depuis longtemps, pourtant mon engagement zéro déchet n’est que le reflet de celui de ma compagne, toujours à la recherche de plus de cohérence entre nos convictions et nos actes. J’aurais pu agir bien plus tôt et faire beaucoup plus sans qu’on m’y traîne. Je fais beaucoup au quotidien, c’est quand même pas si mal, mais je vois l’ampleur de la tâche et je me sens un peu amoindri par la portée de ce que je peux faire.
Et puis, est-ce qu’on peut vraiment être écolo et conduire une voiture quand on sait l’impact des véhicules/infrastructures/etc ? Utiliser un ordinateur et Internet quand on sait la consommation de matière première et d’énergie des uns et des autres respectivement ? Est-ce qu’on n’agit que pour se donner bonne conscience, et dans les limites de notre confort ?
Est-ce qu’on peut être écolo sans vivre comme les peuples premiers, en communion avec les éléments mais à leur merci ? Est-ce qu’on peut être écolo sans saboter le système actuel, sans prêcher la bonne parole à chaque instant, sans sermonner quiconque croise notre chemin ?
À rapprocher de ce qu’expliquent Joanna Macy et Molly Young-Brown dans le livre Écopsychologie pratique et rituels pour la Terre - revenir à la vie le sentiment d’incapacité d’agir provoque une dissonance cognitive face à l’urgence écologique, dissonance qui nous pousse à un burnout intellectuel et à un désengagement préventif.
Mon engagement pro-féministe
Ici encore j’ai la conviction qu’il faut tout changer, que continuer à vivre sans s’engager à fond à chaque seconde n’est qu’une traîtrise et une manière de s’arranger avec sa conscience tout en préservant son confort. Est-ce que les capitalistes vivent avec l’injonction constante de profiter à fond du système, d’écraser les autres et d’accaparer le maximum de ressources, en miroir ?
Et je constate, en filigrane de mes mots et gestes, combien le sexisme, le machisme et autres -ismes que je refuse guident mes actes. On entend souvent crier #NotAllMen, mais comment ne pas être perclus d’automatismes quand on vit dans un système qui cristallise des millénaires d’oppression dans la moindre de ses structures ?
Ici encore j’aimerais faire plus à mon échelle, j’aimerais pouvoir résoudre bien plus, toucher, convaincre, manier le verbe et la logique, la rhétorique et le subtil pour redresser les esprits tordus. Mais à trop vouloir on ne fait que vivre l’expérience de la frustration, jusqu’à s’épuiser et reculer sur nos valeurs, par fatigue intellectuelle.
Je jure en tout cas de faire mon maximum pour agir à tous les niveaux où je peux, en moi-même et à l’extérieur. Ça fait des années que je m’informe et qu’on m’ouvre les yeux (merci les amies), et je sens que j’ai déjà bien progressé, c’est déjà ça !
Ma paternité
Ma fille est adorable, équilibrée, épanouie, et je suis heureux de la voir ainsi. J’ai beau savoir que la génétique et l’environnement scolaire/amical/social ont une influence énorme, je m’attribue une bonne part du crédit vu comme je me suis occupé d’elle.
Pourtant j’ai régulièrement des attitudes et des mots durs envers elle, et je ne m’en rends même pas toujours compte. Qu’elle me pardonne de si souvent laisser s’exprimer mes conditionnements négatifs… Je fais ce que je peux pour changer, et j’aimerais être meilleur père encore que je ne suis.
Ma générosité
On m’a encouragé à la charité, et j’ai tellement intégré cette valeur que je donne au total jusqu’à un salaire par an aux œuvres (déduit des impôts, à 75 et 66%, faut pas pousser mémé dans les orties non plus). Et je glisse rarement une pièce aux personnes dans le besoin, je ne m’engage dans aucune association, je ne fais guère que donner parfois des objets encore en bon état aux Emmaüs. Donner de l’argent, n’est-ce pas un moyen de se donner bonne conscience tout en ne levant pas le petit doigt pour faire bouger les choses concrètement ?
Lacan a dit L’amour, c’est donner quelque chose qu’on a pas à quelqu’un qui n’en veut pas
. Selon Marie-Anna Morand
Précisément parce que [combler l’autre], ce serait une négation de son humanité, et de la nôtre. Le combler, ce serait admettre qu’il est un objet cassé, ou inadapté, et qu’on peut se faire soi-même objet, élément réparateur, pansement…Bref, combler l’autre, et espérer qu’il nous comble, c’est une illusion de fusion visant la complétude. Ça n’existe pas. C’est une chimère anti-humaniste et on souffre beaucoup de trop s’y fourvoyer.
Est-ce que mes largesses sont un moyen de combler le vide de ma vie, de réparer quelque chose qui finalement n’est peut-être même pas cassé ? Est-ce que je me tiendrais en moins bonne estime à moins donner, ou différemment ?
J’aime également la réflexion très juste de Steven Pinker dans The moral instinct quand il explique que chaque société place les mêmes valeurs de base dans un ordre qui lui est particulier.
In the West, we believe that in business and government, fairness should trump community and try to root out nepotism and cronyism.
In other parts of the world this is incomprehensible — what heartless creep would favor a perfect stranger over his own brother?
Traduction :
En Occident, nous pensons que la justice est plus importante que l’appartenance à la communauté, en affaires comme en politique, et qu’il faut donc éradiquer le népotisme et le copinage. Cette position est incompréhensible dans d’autres endroits de la planète —quelle espèce de malade social préfèrerait donner à un parfait inconnu plutôt qu’à son propre frère ?
Comme quoi nous ne nous attachons à nos valeurs que parce qu’elles cimentent le groupe dans lequel nous évoluons, sans réfléchir à leur justesse intrinsèque et à l’équilibre du grand Tout.
Ma culture
Se vanter de choses qu’on a obtenues sans effort c’est reprocher à l’autre des faits dont il n’est pas l’auteur, et c’est grande injustice. Aujourd’hui c’est plus subtil, je montre de l’étonnement quand quelqu’un dont j’attendais qu’il connusse quelque chose montre ou avoue qu’iel l’ignore. Ça reste une réaction de mépris et de rabaissement, et c’est indigne de la personne que je souhaite être. Et il y a tant à apprendre et tant de manière de savoir que ce serait faire preuve d’étroitesse d’esprit de faire un tel distinguo entre les savoirs auxquels j’accorde crédit et les autres.
Mon ouverture à l’autre
Encore une valeur inculquée que je n’ai pas vraiment questionnée au début, et que j’applique parfois plus ou moins. Au fond de mon cœur je la juge juste car pour moi tout ce qui nous relie l’est. Mais je me dis régulièrement que je me ferme parfois quand des gestes, paroles et attitudes me blessent.
Est-ce qu’on doit toujours écouter les autres, même quand leurs opinions nous heurtent ? Toujours être prêt à recevoir les critiques ? Ou est-ce qu’on peut être cohérent avec ses valeurs tout en se préservant ? J’imagine qu’il faut juste trouver l’équilibre entre laisser les autres nous remettre en question aussi souvent que nécessaire tout en préservant notre intégrité.
Mon esprit
L’humour n’est qu’un moyen de briller dans une famille où la culture et l’intelligence étaient l’aune à laquelle nous étions jugés, plus que la réussite financière ou le physique. Quoi de plus normal donc d’avoir soigné mon image en ce sens pour bien paraître dans ce théâtre ? Pouvais-je faire autre chose que de chercher l’approbation de mon cercle familial le plus proche, à des âges où il n’est pas possible d’en sortir ?
Je raconte parfois l’anecdote amusante selon laquelle il m’est arrivé de faire un jeu de mots en rêve. Dans ce rêve je me suis dit qu’il fallait noter un si bon jeu de mots ce qui m’a réveillé. Tout ça pour me rendre compte que finalement, non, ce jeu de mots n’en valait pas la chandelle…
De plus en plus souvent le Goulven Comedy Club, comme l’appelle l’amie MC, me fatigue. J’ai l’impression que ce “circuit mental” dédié à la recherche d’ironèmes, de contrepèteries et de tournures amusantes me pompe une énergie folle, pour un résultat futile.
Je vois cet humour de moins en moins comme partie prenante de ma personnalité et de plus en plus comme un habit qui me déguise et me soustrait au regard des autres. Moi qui raffole des moments de confidences intenses, où les gens se confient à moi et réciproquement, où nous échangeons nos visions du monde et prenons du recul face au concret, je me rends compte à quel point je repousse ces moments par mon attitude et la constante distance que je mets.
Pour autant je ne souhaite pas dénigrer ce tuteur derrière lequel je me suis longtemps caché, je souhaite juste que cet esprit quasi autonome m’aide aujourd’hui à avoir un regard plus juste sur le monde et une attitude plus conforme à mes valeurs. Esprit, es-tu cap ?
Conclusion temporaire
L’humilité est une de mes valeurs cardinales, et j’ai jugé important d’examiner et d’exposer publiquement les jugements que je porte sur moi-même. Je m’encourage ainsi à avancer vers une meilleure compréhension de mes défauts et une plus grande cohérence. J’espère aussi que d’autres se reconnaîtront dans cet exposé et seront encouragé•es à s’examiner, admettre leurs conditionnements, réévaluer la priorité de leurs valeurs et agir avec plus de justesse et en accord avec leurs convictions.