Concurrence, marché de dupes

Publié le 6 janvier 2019

Tags : Économie

J’étais parti pour parler de zéro déchet et paf, le paragraphe sur les AMAP contre les centrales d’achat a échappé à mon contrôle. J’expose donc ici l’arnaque totale que représente l’idée de concurrence.

Le MEDEF, les économistes à la solde du capitalisme et les hommes de paille politiques vantent la concurrence comme un moyen efficace de proposer aux consommateurs des produits de qualité supérieure à un prix abordable.

C’est pourtant tout le contraire qui se produit, et c’est logique : l’objectif des consommateurs est en effet de payer le moins cher possible un bien de meilleure qualité possible. L’objectif des entreprises est exactement opposé : vendre au prix le plus élevé un bien qui coûte le moins possible. Il est logique que l’acteur économique qui a le plus de moyens (les entreprises) fasse tout pour biaiser les règles en sa faveur. Et c’est bien ce qu’on constate…

Les centrales d’achats des soi-disant “super”-marchés

Premier exemple : les centrales d’achat des supermarchés imposent des prix indécents, des denrées calibrées (parce que les consommateurs “veulent” de beaux produits) et de longue conservation parce que les produits passent des journées entières dans des camions, des chambres froides et sur les étals. Elles mettent les producteurs locaux en concurrence avec les paysans du reste de la planète, jouant sur les différences économiques pour extraire le profit maximum —au détriment de la planète. Et elles ont été condamnées pour collusion à plusieurs reprises.

Exemple 1, en 2012

Dans sa saisine, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie considère que le rapprochement des puissances d’achat de Leclerc et Système U constitue une entente qui a pour objet d’aligner, sans raison objective, les conditions commerciales et d’approvisionnement des deux enseignes, pourtant par ailleurs concurrentes, et d’obtenir des avantages financiers de nature à accroître artificiellement les marges convenues des distributeurs et à rendre plus difficile l’accès aux marchés d’autres distributeurs.

Avis 05-D-62 du conseil de la concurrence

Exemple 2, en 2015

[…] Auchan et Système U, puis, par effet d’entrainement, Intermarché et Casino et enfin Carrefour et Provera ont annoncé leurs rapprochements à l’achat. La multiplication de ces accords a significativement renforcé le degré de concentration et a abouti à la constitution d’une puissance d’achat significative des opérateurs concernés, lesquels disposaient déjà d’un poids significatif au stade de la distribution de détail. Ainsi, à la suite de ces accords, le marché est réparti principalement entre quatre grands acheteurs (ITM/groupe Casino, Carrefour/Cora, Auchan/ Système U et E. Leclerc), qui représentent ensemble plus de 90 % du marché.

Un nombre important de fournisseurs interrogés ont indiqué que le renforcement du pouvoir d’achat des distributeurs conduisait à une pression sur leur marges telle qu’ils jugeaient probable d’avoir à réduire ou limiter leur investissement, le lancement d’innovations sur le marché, ou encore à rationnaliser leur offre.

Communiqué de l’Autorité de la concurrence concernant les rapprochements à l’achat dans le secteur de la grande distribution

Les opérateurs téléphoniques

En 2007, une amie m’expliquait que le coût d’un SMS ou d’une minute de communication n’était qu’une fraction du prix du même service proposé par l’un ou l’autre des 3 opérateurs français. Parce que ceux-ci décidaient entre eux des prix qu’ils voulaient pratiquer et s’interdisaient toute concurrence effective. Ce n’est qu’avec l’arrivée de Free que les tarifs ont soudain été divisés par 2, puis par 3.

Le Conseil de la concurrence reproche en 2005 à trois opérateurs français, Orange, Bouygues Telecom et SFR, d’avoir échangé, de 1997 à 2003, tous les mois, des chiffres précis et confidentiels concernant les nouveaux abonnements qu’ils avaient vendus durant le mois écoulé, ainsi que le nombre de clients ayant résilié leur abonnement. Il est considéré que, bien que ne portant pas sur les décisions de prix qu’ils avaient l’intention de prendre, ces échanges d’informations étaient de nature à réduire l’intensité de la concurrence sur le marché des mobiles pour plusieurs raisons.

[…]

Sur un marché où n’opèrent que trois acteurs et sur lequel l’entrée est très difficile, des échanges d’informations de ce type sont de nature à altérer le jeu de la concurrence, en réduisant l’incertitude sur la stratégie des autres acteurs et en diminuant l’autonomie commerciale de chaque entreprise, particulièrement lorsque - comme cela a été le cas sur le marché de la téléphonie mobile à partir de 2000 - la croissance de la demande se ralentit fortement.

Affaire de l’entente entre trois opérateurs de téléphonie mobile en France

Constructeurs automobiles

Le “Dieselgate” a montré que les constructeurs automobiles s’étaient entendus pour contourner les lois concernant le traitement des gaz d’échappement, en mettant en place un dispositif de fraude activé uniquement lors des tests.

Depuis les années 90, ils se réunissaient également (plus de 1000 réunions en 30 ans) pour aligner les prix publics des véhicules, la puissance, les fonctionnalités, choisir et mettre la pression à leurs fournisseurs, etc. De nombreux articles expliquent cette affaire mais je trouve celui du Spiegel très clair et très bien informé (d’autant plus que les entreprises sont allemandes).

Audi, BMW, Daimler, Volkswagen and Porsche coordinated their activities in more than a thousand meetings.

[…]

The agreements among the German automakers likely constitute one of the biggest cartel cases in German industrial history. They began in the 1990s and were expanded to include more and more issues, probably in part because industry executives long viewed violations of competition law as harmless rule violations, on a par with parking tickets.

[…]

There were more than 60 working groups in which the automakers cooperated. “We assume,” Volkswagen wrote in its statement to the authorities, “that more than 1,000 relevant meetings took place in the last five years.”

[…]

At numerous meetings, they coordinated the size of tanks for AdBlue, a urea mixture used to split nitric oxide into its harmless components of water and nitrogen. Large tanks would have been expensive, so Daimler, BMW, Audi and Volkswagen agreed to use small tanks. However, at some point the amount of AdBlue the tanks contained was no longer sufficient to adequately clean exhaust gases.

The cartel: Collusion between Germany’s biggest carmakers</span> (Der Spiegel)

Assureurs

L’ouverture des marchés européens provoque une mise en concurrence de groupes d’assurance ayant des moyens différents. Aucune surprise donc à voir les acteurs que cette concurrence met en danger tenter d’arranger les choses en leur faveur, y compris illégalement.

François Fillon a dû révéler le 6 février qu’Axa avait été client de sa société 2F Conseil. Embarrassé, le groupe d’assurances a reconnu lui avoir versé 200 000 euros entre mi-2012 et mi-2014. L’ancien premier ministre l’aurait aidé « à ouvrir des portes à Bruxelles et à Berlin » dans le cadre de la discussion concernant la directive de régulation sur les assurances.

Payé par Axa, Fillon en plein conflit d’intérêts (Mediapart)

Banques

Les krach boursiers de plus en plus nombreux montrent bien que la régulation des banques est insuffisante. Et pour une raison toute simple : les banquiers de demain sont les régulateurs d’aujourd’hui. Pourquoi iraient-ils imposer des lois qui nuiraient à leurs futurs employeurs, donc directement à leur employabilité et à leur salaire personnel.

[…] c’est un ancien de chez BNP qui va être nommé à la tête de la Banque de France et de l’autorité de contrôle des banques, si le Parlement l’approuve. Conflit d’intérêt ? Collusion ? Menace pour la régulation bancaire ? Une décision symbole de la porosité entre banquiers et instances chargées de leur contrôle, qui explique en partie le laisser-faire coupable et l’inaction des régulateurs et responsables politiques face à la finance.

[…]

Difficile de résister à l’appel de la finance, avec ses promesses de salaires mirobolants et d’attirants bonus. Cette consanguinité entre la haute fonction publique – notamment le ministère des Finances – et le secteur bancaire explique en partie la difficulté à mettre un terme aux abus des banques. Car on ne mord pas la main qui nous donnera à manger demain… « Quand vous êtes haut fonctionnaire à Bercy, vous savez qu’à 45 ans, vous allez plafonner dans votre carrière. Si vous ne voulez pas moisir dans votre bureau, vous irez pantoufler dans une banque, avec un salaire multiplié par 10 ou 50 », explique l’économiste Gaël Giraud.

[…]

Les inspecteurs des finances ont une très grande prédilection pour le secteur bancaire : en 2004, sur 290 inspecteurs « actifs », 72 travaillent dans le secteur des banques et assurances !

Collusion et pantouflage : quand le lobby bancaire met la main sur la haute administration

Le président du directoire de la BPCE a été mis en examen le 6 février à Paris pour prise illégale d’intérêts. Les juges enquêtent sur sa nomination controversée en 2009 à la tête du groupe bancaire.

[…]

En effet, la loi interdit à tout fonctionnaire de travailler pour une entreprise qu’il a surveillée, avec laquelle il a conclu un contrat ou qu’il a conseillée sur ses opérations dans les trois ans précédant son passage du public au privé.

François Pérol est mis en examen pour prise illégale d’intérêts (Communiqué Anticor)

Conclusion

Tout ceci montre bien que les entreprises les plus favorables au libéralisme économique ne souhaitent en réalité que la partie qui les arrange, c’est-à-dire la suppression du contrôle étatique, et pas celle qui leur causerait du tort : la concurrence.

Je vous recommande vivement la lecture du Traité d’économie hérétique de Thomas Porcher, même pour moi qui vis sans télévision je me suis rendu compte que j’avais intégré des mensonges déguisés en “lois économiques”.

Je vous recommande également la conférence gesticulée sur la réforme des retraites de Franck Lepage et Gaël Tanguy (et toutes les conférences gesticulées de Franck Lepage, ce qu’il écrit, tout ça).

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